La maison en errance (1999)


CHANT PREMIER

Avec son silence obligé

je vis la solitude telle une hostie

qui me lave de péchés.

Elle clôture mon ouïe aux bruits inutiles

qui vont sur la surface de la terre.

Elle ferme mes yeux à toute cette guerre de l’un contre l’autre.

Elle condamne ma bouche pour ne pas dialoguer dans le vide.

Elle arrête ma respiration.

Avec son abstinence obligée

la solitude d’attouchements m’oblige à connaître

la peau de la pensée

couverte de cette lumière qui refuse

de mettre le coeur en vente.

Je détiens la solitude dans les souvenirs

dans les séquences inachevées

et les mémoires pleines de querelles.

Je laisse aller la tentation d’abréger

son temps plaintif.

Mais d’abord l’amour.

Je dois le goûter sans excuses

sans intermèdes

sans entractes.

Sans prologues

sans épilogues

sans le couvert mis.

Je dois le goûter

par des bouffées

par des bouchées

sans tenir compte des préambules

qui nous font nous sentir desemparés.

Je le forcerai à sortir des cavernes

où il est né en captivité

car il a toujours été en moi

et seulement de moi il jaillit

il s’invente

il s’étend

il revient.

Dans cette solitude qui est devenue un vice

je t’invoque   Amour  sur tes rives

devant toi je mets à genoux l’attente

et je t’offre ma patience au compte-gouttes

jusqu’au moment où j’aurai tissé

un nouveau pretexte pour t’attraper.

Laisse-moi regarder par l’oeil de tes serrures

écouter derrière tes portes

et déchiffrer les énigmes que tu caches.

Affirme-moi que mon sentiment n’est pas sans fondement

ce que j’imagine a quelque chose à voir

avec certains regards

avec le silence quand il exerce son pouvoir

en s’étendant et en nous enveloppant.

Laisse-moi m’enchaîner au jeu

où je balbutie des recueils de regrets

au jeu de s’évader

de se dérober au temps

et de parader avec tes masques.

Permets que ma vicieuse solitude en cheminant

rencontre d’autres solitudes

permets-moi de lui avouer combien je voudrais l’extirper

trépaner sa force

transpercer sa fougue

et enfin l’accoupler.

Mais elle est toujours là

palpitante

inhospitalière

m’annonçant que tu n’est qu’idée

prison où l’obstination invente des ports

mouillages d’un lendemain

et phares pour envisager

la possibilité d’enfin fonder ma maison en errance

qui rêve toujours à tes lisières.

Comme d’habitude je te nomme

amour lointain

incertain

invention

fruit frais.

Je te tisse des mythes

des légendes

des dramaturgies.

j’incarne devant toi les plus profonds secrets

et je reçois ton chant de lumière et de foudre

l’éblouissement

l’aveuglement

cette déraison à toi sans frein.