Pita Amor
capricieuse comme la vie méme
Connaitre Pita Amor fut quelque chose d’inoubliable. Je me rappelle d’elle dans la grande avenue Reforma avec sa canne et une coiffure avec une grande fleur sur la téte. La
canne était une sorte d’ arme pour freiner les voitures et pour s’aider a traverser la rue jusqu’a l’autre trottoir. De pas en pas, elle donnait des coups; elle s’irnmobilisait avec
gráce et arrétait les automobiles pour passer la premiere. Elle parlait toute seule et élevait la voix pour crier: Stop! Stop! Pita Amor passe !
Je me rappelle aussi d’une fois oü, dans un restaurant italien de la Zona Rosa, avec grande superbe, elle récitait ses poemes devant ses compagnons, en majorité des hornmes. J’ étais a une autre table a manger des spaghettis en conversant avec ma famille. Pita a osé se lever et se diriger vers nous pour nous faire taire parce que tous avaient l’obligation d’écouter la déclamation exaltée de sa poésie.
Apres quelque temps, j’ ai eu l’ opportunité d’ échanger quelques mots avec elle dans un bar de Coyoacán appelé El Hábito, propriété des comédiennes et amies Jesusa Rodríguez et Liliana Felipe, oü se présentaient des spectacles difficiles a classer, des plus élitistes aux plus populaires, de la tragédie grecque au cabaret, des Indiens précolombiens aux eeuvres lyriques, de la revue, sketch, ou farce a la performance critique sur quelques projets poli-
tiques mexicains du moment. Pita était une cliente assidue du bar et j’ ai pu parler avec elle gráce a notre amitié mutuelle avec Quico, Enrique Rodríguez, le frere de Jesusa.
Notre poete I’ appréciait vraiment, car elle avait total e confiance en lui et paree qu’il était un gentil compagnon qui l’ invitait a sortir et la ramenait chez elle apres avoir dégusté un bon repas et un petit verre. Dans d’ autres circonstances, il aurait été impossible de s’approcher de Pita, car, à cette époque, dans les années quatre-vingt, elle n’aimait parler avec personne et permettait encore moins qu’on la touche.
D’une personnalité difficile et écrasante, Pita était une femme diserte de vers et de phrases presque célebres qu’elle disait à tout le monde: à Jesusa Rodríguez – Tu es inimaginable! Mieux que Chaplin!;àla comédienne Patricia Reyes Espíndola pendant qu’elle jouait au théatre – Patricia, descends de la scéne immédiatement! Cette ceuvre est pour les tarés, elle ne te mérite pas! Descends, Patricia, OU e’ est moi qui vais monter sur scéne I ; aux chauffeurs de taxis et aux serveurs, elle criait sans considération – Faces de singes, ne: de mangue, nains guatémaltéques ! Méme dans les grands tremblements de terre de 1985, au milieu de l’horrible destruction de la ville de México, on lui a demandé son opinion et elle a dit – C’est bien! 9a nous débarrasse de la vermine! C’ était Pita Amor, au fort tempérament,
tellement que qulqu’un l’a surnommée la grand-mére de Batman.
Quico avait l’habitude de lui demander: Et, toi, quel áge as-tu? Pita, en criant, répondait: Grossier, demander cela a une dame; j’ai 1984, plus la Grece que je me retire! …
–As-tu un doctorat? – Ni doctorat ni ríen! Moi, je suis l’ Université, tu as le temps de te cultiver; nous, les artistes, n’ avons pas le temps de nous cultiver; nous, les artistes, nous sommes la culture!
Lorsqu’ill’invitait a manger au Restaurant Prendes, elle n’hésitait pas une seconde pour frapper les serveurs afín de les écarter devant elle: le ne supporte pas les serveurs
petits et chauves! Et le pain était devenu des miettes sur le plancher tout autour d’ elle. Tout le monde savait alors: Ici a mangé Pita Amor.
Selon ce que Quico m’a raconté, durant les années quatre-vingt, Pita habitait la rue Bucareli, dans un beau bátiment du dix-neuvieme siecle. L’édifice était a demi
détruit et l’ ascenseur ne fonctionnait paso Son petit appartement se trouvait sur les toits et, pour s’y rendre, il était nécessaire de monter plusieurs escaliers en spirale. En montant et en descendant ces marches, Pita disait toujours :
Tais-toi et tiens la rampe, ce doit étre ainsi, monter et ne pas parler, jamais tu ne dois placoter quand tu montes ou descends en tenant la rampe! Et, bien sür, l’habitude de ne
pas ouvrir la bouche dans les escaliers est restée bien ancrée chez Quico.: avec le souvenir de Pita qui, chaque fbis qu’ elle descendait les marches et arrivait sur les paliers, s’arrétait pour réciter un poeme à propos de cette anecdote, je me souviens du poeme écrit par Jesusa et Liliana:
DANS L'ABIME DE PITA AMOR Dans l' abime oú habitent des muets ta voix, ta voix, ta voix, fa voix, ta voix, ton intelligence cruelle défait le nceud ton cceur brutal, tes yeux deux. Dans l' abime des escaliers marche, marcher, marcher et qu 'importe, si ton soulier est fidéle comme tes cernes c'est mieux de rever, mieux de ne pas savoir. Une marche, une autre et sur le palier, quelque sonnet arrive discret, vient et va. Deux mille sonnets, neuf cents quintiles et sizains, dans l'abime de la versification, jusqu' au miroir qui regarde en silence, et qui dirait tes vers s'il pouvait parlero La surface de mercure immémorial, imitation d'objets, connait des secrets qu'il taira. Dans l' abime de tant de mensonges, dire la vérité parait démentiel : « Nécessiteux, juges adipeux, fous ambitieux, amants timorés, poétes banals, vices ancestraux, péchés véniels, tromperies énormes et municipales ». Dans tes abimes de vers, de quintiles, de sizains, dans ton nom d'Amor, en toi la poésie, trois mille sonnets, mille cinq cents quintiles et sizains, nous avons beso in encore de Pita.
Ce petit appartement de Pita était couvert de couches de poussierc infinies, peut-étre étaient-ce les souvenirs et les moments d’intensité qu’elle avait vécus pendant toute sa
vie. Cet amas de particules était sürement celui dont elle avait fait l’ éloge, plusieurs années auparavant, en 1949, dans son livre Polvo / Po ussiére, quand elle nous raconte:
le me sens naufragée,
la marée de poussiere m’a envahie.
Sij’étais en train de me brüler;
aujourd’huij’ai reconnu
que ne pas étre est mon sens authentique.
Poussiére, tu es le but
et le trajet cendreux des choses.
Tout en toi se concrétise,
et harcéle éternellement
les chambres, les berceaux et les fosses.
Comment définir, décrire, dessiner, dire Pita Amor, cette fernme étrange et controversée qui a dénudé son corps et son ame pour les répandre sur les pages de ses livres ; cette belle fernme, scandaleuse, privilégiée et capricieuse cornme la vie méme ; cette fernme si amoureuse de sa personne qu’elle n’a pas pu aimer quelqu’un d’autre; Pita, «la reine de la nuit »; Pita, sa propre maison, habitant un monde qui lui fut étranger; Pita qui, avec délire, a chanté Dieu, la mort, la folie, l’ angoisse, l’ obscur, le néant? Cornment la définir, sinon avec ses propres mots, avec les vers qui ont su la décrire sans hésiter dans sa poésie :
LITANIE DE MES DÉFAUTS
Je suis vaniteuse, despotique, blasphématoire;
superbe, hautaine, ingrate, dédaigneuse;
mais je conserve encore un teint de rose.
Le feu de l’ enfer me consume.
Mon systeme est de cristal ciselé.
le suis égotiste, froide, tumultueuse.
le m’ effrite comme un fragile papillon.
J’ ai construit moi-méme mon anathéme.
le suis perverse, méchante, vindicative.
Mon sang est prété et fugitif.
Mes pensées sont tres tacitumes.
Mes réves de péché sont noctumes.
le suis hystérique, folle, dérangée;
mais déjá condamnée al’ étemité.
C’était …
C’est la poete mexicaine : Pita Amor
ANDREA MONTIEL
texto traducido al francés y publicado
en la Revista LÈVRES URBAINES #43
Director Claude Beausoleil Trois Rivières 2011